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La CNV dans la famille… c’est pas du gâteau.

Article de Evelyne Mester sur son blog "Perles pacifiques"

[temps de lecture : 8 mn ]

Qui n’a pas rêvé d’un outil magique pour que soudain tout soit zen et plein d’amour à la maison ?

Après « La CNV dans le couple… c’est pas de la tarte », voici la CNV (Communication NonViolente de Marshall Rosenberg) dans le cadre du noyau familial, et y a pas à dire, c’est pas du gâteau non plus.

Certaines notions et remarques de l’article précédent sont utiles pour une meilleure compréhension de celui d’aujourd’hui.

Autant dans un couple nous nous sommes choisis mutuellement et désirons vivre ensemble, autant dans la famille le grand frère n’a pas décidé d’avoir cette petite sœur, les parents n’ont pas commandé sur catalogue ces enfants-là, et nos ados n’ont sûrement pas souhaité ces parents-là, du moins pas consciemment. Nous nous retrouvons tous coincés dans un lieu clos avec des êtres parfois bizarres parfois incompréhensibles parfois agressifs parfois envahissants, et nous devons cohabiter, avec moins de possibilités de rupture que dans un couple si cela ne convient plus. Le plan idéal pour la vie de famille a beau être bien clair dans la tête des parents, les enfants ne l’entendent peut-être pas de cette oreille et nos valeurs ne leur conviennent parfois pas du tout.

Il n’y a donc pas de finalité commune à cette belle entreprise, alors que nous avons la contrainte de vivre ensemble. Mmh ça promet une belle énergie …

Alors comme ça vous êtes en quête d’un outil magique ? Haha, ne le cherchez donc pas ici. Car chez nous, on est sur un terrain d’apprentissages digne d’un fourré de ronces dans lequel on aurait perdu le fermoir d’une boucle d’oreille de lilliputien. On explore. Et chaque jour on apprend. Et ce qu’on a appris la veille peut être démenti le lendemain par une nouvelle expérience contradictoire. Bref, la vie quoi.

On avait déjà la posture égalitaire enfants-adultes, on avait déjà les valeurs libertaires fortes, on avait déjà les connaissances sur « la carte du monde de mon prochain n’est pas la mienne », mais on n’avait pas … pensé que les enfants s’en foutraient autant de nos émotions et nos besoins exprimés en mode CNV tout beau tout neuf.

… Car un jour, mon compagnon Reblochon-Pizza et moi sommes revenus de notre stage de CNV …

Utiliser la Communication NonViolente en famille ne voulait certes pas dire pour moi chercher à ce que tout se passe nickel lisse et sans accroc dans nos relations, mais je souhaitais qu’elle nous donne le moyen d’être à l’écoute de soi et de chacun pour aller vers des solutions, afin de servir notre vie collective. Et les enfants semblaient bien décidés à nous prouver que ça n’allait pas être simple.

Ils font « oui oui » en écoutant, tout en tripotant un objet sur la table, et avant la fin de nos paroles posent la question qui leur brûlait les lèvres depuis le début : « Pourquoi ce truuuuc il est sur la taaaable ? ». Occupés à leurs propres pensées, ils n’ont que faire de nos blablas à propos des nôtres.

La question première à me poser était la suivante :

« Est-ce que je décide d’utiliser la CNV pour que ma famille ressemble au rêve idéal que je m’en suis fait, ou bien pour permettre à chaque membre de s’épanouir et se révéler même si ce n’est pas toujours confortable ? »

Les « phrases-magiques CNV » ayant échoué pour me sentir entendue et prise en compte auprès de mes enfants, c’est alors tout naturellement que je suis passée à la vitesse supérieure : j’ai adapté mon langage et mon « non verbal » afin qu’ils expriment beaucoup mieux mon état d’esprit à l’instant T.

J’ai laissé tomber cette formulation-ci… : « Cher enfant, lorsque tu cries près de moi alors que j’essaie d’écrire un article et que je t’ai demandé trois fois d’aller plus loin, je me sens agacée car j’ai besoin de calme et de silence pour me concentrer. Es-tu ok pour cesser de rouvrir la porte de mon bureau ? »…

… et j’ai adopté cette formulation-là, bien plus imagée et fleurie : « Puuuuunaise Frère 3 ! Tu cries tu criiiiiies tu hurles dans mes oreilles ! J’en peeeeux plus !!! Je suis en cooooolèèèèère t’imagines même pas comment !! Ça fait trois fois que je te demande de laisser cette porte fermée, putain de mierda de bordelo de chiure de mouche crevée ! Meeeeeeerde, je veuuuuuuux la paix et le siiiiilence !! Je suis dans mon punaise d’espace, tu me laisses travailler et tu vas dans le tien ?? »

C’est à ce moment-là que mon fils de 10 ans a bien voulu partir se trouver une autre occupation.

J’avoue, je fais pas dans la dentelle langagière en temps normal. Alors sous prétexte que je fais de la CNV, je ne vais pas adopter une attitude précieuse ni mâcher mes mots. Mais vous pouvez remarquer que je me suis malgré tout exprimée en énonçant son attitude de manière factuelle, en prenant la responsabilité de mon émotion en « mode JE » sans porter sur lui de jugement ni d’accusation, et que j’ai nommé mes besoins et formulé une demande claire.

Le souci dans la demande, c’est qu’en CNV la personne à qui elle s’adresse doit toujours se sentir libre de la satisfaire ou non. C’est une des difficultés que j’ai rencontrées lors de cette pratique dans le cadre familial :

Comment faire quand l’enfant se fout royalement de mes ressentis et a fortiori de ma demande ?

Synchroniser l’énergie de la formulation de mon message avec mon ressenti a déjà permis de sensibiliser mon enfant à mon état d’esprit et de me prendre en compte. Je n’ai lu ni peur ni soumission dans son regard, juste perçu qu’il avait compris que je tenais vraiment à ce que j’avais auparavant : mon calme. Quand j’eus fini nous étions tout à fait heureux de passer du temps ensemble et aucune explication ni excuses de part et d’autre n’étaient utiles, car personne n’en voulait à l’autre. J’avais besoin de mon calme et ce n’était pas quelque chose de négatif en soi.

On parle souvent de poser des limites aux enfants, idée qui me parait assez artificielle, et bien j’illustre ici l’autre idée possible et totalement naturelle : poser MES limites.

Pour moi la CNV permet vraiment ça : je dis stop, tout en gardant une bonne relation avec l’autre par ma formulation.

Comment je fais, donc, si même l’étape de m’exprimer clairement n’a pas provoqué de réaction sur mon enfant ?

Personnellement, je lui rappelle les conséquences possibles : « Tu sais, si je ne peux pas terminer mon article maintenant, je devrai le faire tout à l’heure et je n’aurai plus de temps pour préparer les crêpes ». Du channnntaaage ?? Meeeuh non, vous affolez pas. Le chantage c’est lorsqu’on annonce une conséquence artificielle à une action, genre « Si tu ne te tais pas tu n’iras pas à la fête de Tatane-Paire-de-Rollers dans quinze jours ! ». On aurait même envie de rajouter « Na ! » tellement c’est une sorte de jolie tentative de vengeance des parents pour se soulager de leur propre vexation, pour manipuler aisément et pour asseoir une autorité indiscutable.

Là non, pas de chantage. J’annonce une conséquence naturelle aux choses : le temps dont j’ai besoin pour écrire va empiéter sur celui pour faire cuire les crêpes, donc il se peut que je doive les reporter à un autre jour. Et je dirais la même chose à mon compagnon ou à des amis si j’avais rencontré ce problème avec eux.

Il m’arrive aussi de prévenir d’une conséquence naturelle d’ordre relationnel : « Tu ne tiens pas compte depuis ce matin de mon besoin de repos, je pense qu’il y a des chances pour que je me sente tellement énervée et fatiguée que je n’aie plus envie de passer du temps avec toi jusqu’au coucher. » Chantage affectif ? Rooo mais noooon ! Conséquence naturelle !

Les relations humaines sont une circulation d’énergies. Personne ne peut piétiner les besoins des autres impunément et néanmoins conserver leur bonne humeur et leur coopération.

Pour Rebloch’ et moi, la fonction essentielle de la communication est de conserver une bonne relation avec autrui en se respectant soi-même.

Mon enfant par contre, il s’en fiche un peu, lui. Il sait qu’il viendra faire un câlin et que Maman l’aime et lui pardonnera toujours. Alors c’est plus facile pour lui de me balancer au cours de ses crises émotionnelles : « Je te déteste ! Je ne veux plus vivre avec toi ! Je vais partir très loin ! » au lieu de me dire « Maman, j’apprécie que tu cherches à prendre soin de mon sommeil, et j’aimerais vraiment jouer une douzième heure à l’ordi aujourd’hui même s’il y a école demain, parce que je me sens heureux quand je joue et que j’ai besoin de détente avant d’aller au lit »... Mouarf.

Une grande partie du travail familial sur la non violence réside à mon sens dans le fait de permettre à chaque membre de la famille d’expérimenter que les moyens non violents sont plus « écologiques » sur le long terme, même s’ils demandent plus d’efforts sur le court terme : ils apportent des bienfaits durables qui vont dans le sens du respect de chaque membre du groupe qui contribue à l’équilibre collectif. Si le bonheur familial était représenté sur un schéma par une courbe, avec la CNV celle-ci serait légèrement fluctuante mais plutôt stable. Sans la CNV, chez nous en tout cas, elle serait en dents de scie très aiguisées … Et tout le monde est vraiment mis à mal dans ces cas-là. Donc « les gars, est-ce que c’est vraiment comme ça que vous souhaiteriez fonctionner dans notre famille ? » J’ai déjà posé la question à mes enfants, et je peux vous dire que non : ils souhaitent eux aussi, dès qu’ils y réfléchissent, la paix, le calme et la complicité. Nous voilà fixés sur un projet commun du coup, que nous avons tous choisi. Et c’est toujours bon de le rappeler quand tout part en vrille parce que l’un de nous pète un plomb.

Bref, revenons à notre épisode avec Frère 3. La CNV offre d’autres moyens d’action en cas de conflits. Par exemple celui de permettre à mon fils de s’exprimer lui plutôt que moi. J’aurais pu lui demander : « Je remarque que tu cries et t’agites, est-ce que tu te sens stressé ? Est-ce que tu aurais besoin d’un moment ensemble ? Est-ce que tu serais ok pour qu’on aille faire un tour au parc quand j’aurai fini d’écrire ? » Très probablement il aurait arrêté ses cris pour s’exprimer, puis heureux d’avoir été pris en compte et entendu, et après avoir négocié un arrangement, il aurait patienté.

Selon l’éducation que nous avons reçue, nous pouvons avoir tendance à être pudique sur le fait de questionner notre enfant sur ses ressentis.

On ne pense pas toujours à lui demander comment il se sent, ou bien on a peur d’entendre les réponses, de ne pas savoir gérer, et du coup il perd l’occasion d’apprendre à clarifier ses besoins pour savoir prendre soin de lui-même. Je suis souvent frappée de réaliser que les questions les plus simples et directes qui concernent la vie de nos enfants ne sont pas posées : « Comment tu te sens dans la famille ? Est-ce que tu te sens heureux ? Qu’est-ce que ça te fait quand ton frère dit qu’il ne t’aime pas ? Qu’est-ce qui est vraiment important pour toi dans ta vie ? Est-ce que voir ton papa une semaine sur deux en garde alternée te convient toujours ? Est-ce que tu as une demande à me faire ? etc etc… »

La CNV est une formidable occasion d’expression de l’authenticité de chacun et d’accompagnement dans le cadre de la famille. Vous n’avez plus besoin de trouver quoi dire pour aider votre enfant lorsqu’il rencontre un problème, ni minimiser pour le rassurer, ni le plaindre pour le comprendre, ni lui donner des conseils pour l’encourager, toutes ces choses qui peuvent entretenir une prise en charge de ce qui est sous sa responsabilité. Il « suffit » de l’écouter pleinement sans juger ni donner son avis, de reformuler ses émotions en répétant ce qu’il vient de dire : « Oh oui tu te sens suuuuper triste ! Comme tu as mal ! » Donner ainsi de la légitimité à ses émotions le soulage grandement. Cela est à la portée de tout le monde. Et lui faire confiance pour trouver SA solution s’il en souhaite une.

La CNV est très utile en médiation lors des disputes dans la fratrie : il existe des jeux de cartes spécifiques pour faciliter l’expression des émotions, pour aider à placer des mots sur ses besoins, et amener deux enfants à comprendre le point de vue de chacun pour alléger les rancœurs et trouver une solution d’apaisement. Un super exercice d’empathie l’un envers l’autre, qui peut être la révélation comme quoi son frère ne pense pas comme soi mais qu’il a le droit de ressentir ce qu’il ressent, sans pour autant être accusé de mauvaise foi !

Voilà différentes manières de vivre la CNV, selon la disposition dans laquelle nous sommes sur le moment et selon les circonstances.

Le tout n’est pas de pratiquer à la perfection, mais pour moi il est surtout primordial de chercher à maintenir la connexion avec l’autre à tout prix, malgré nos tâtonnements.

Et le couple parental ? Un microcosme dans le système. Une des choses que j’entends souvent est que les parents doivent être toujours d’accord devant leurs enfants. Ben justement, je ne suis pas d’accord. Le couple parental n’est pas une entité : tout comme la famille, il est fait d’individus différents qui vont fonctionner ensemble en cherchant sans cesse l’équilibre.

Pour moi la situation des parents qui ne sont pas d’accord et se taisent devant l’enfant, a le désavantage de faire perdre à l’enfant une occasion d’assister à une résolution de conflit non violente en direct.

Quel dommage, ça pourrait être un beau cadeau très utile pour toute leur vie dans bien des domaines ! Le message en serait : « Papa et Maman ne sont pas d’accord, chacun a la liberté de s’exprimer et de prendre position. Ils pensent différemment, mais ils s’aiment quand même, ils se parlent de manière respectueuse, et leurs deux opinions cohabitent, sans que chacun cherche à faire changer l’autre d’avis. Et on met de l’énergie ensemble pour trouver une solution commune qui satisfera chacun. »

Et soi-même dans tout ça ? Pas facile de ne pas se perdre dans les demandes et sollicitations incessantes des enfants et parfois du conjoint. La CNV vécue avec soi-même est, je le répète, prioritaire. C’est-à-dire savoir identifier et nourrir ses propres besoins là où on aurait tendance à accuser l’autre de ne pas savoir les deviner ni les combler à notre place.

Ne pas se morfondre d’avoir « faim émotionnellement » car on s’oublie ou on se sacrifie, mais choisir de se nourrir soi-même sans attendre qu’on nous prenne en charge. Ou savoir demander de l’aide quand on en a besoin, pour que l’intérêt d’être en groupe se manifeste par le soutien mutuel.

Savoir aussi prendre la responsabilité de ses ressentis et en dédouaner les autres : « non je ne suis en fait pas vraiment exaspérée par ton comportement, ma fille, mais je crois que je suis en mode automatique parce que j’ai quelque chose en moi qui est atteint très profondément. » Comme c’est difficile quand ça touche aux blessures profondes que j’ai ! Il peut être vraiment opportun et constructif pour moi d’aller m’enfermer pour écouter en moi ce qui a été remué, d’aller à la rencontre de mon enfant intérieur et ainsi me donner de l’empathie à moi-même, avant de pouvoir reprendre la relation avec mon enfant. Car parfois nos marmots détectent et mettent au grand jour nos failles souvent inconsciemment : je les considère comme de « petits messagers des voies à explorer » pour nous améliorer, et peut-être même améliorer la lignée familiale.

Bref, comme on dit, « on est pas rendu, ma brave dame ! » Ça tombe bien, on a une petite centaine d’années pour grandir, dans le meilleur des cas. Et à l’idée que ça puisse être bien plus court, soyons-en stimulés. La famille est un des premiers lieux de possibilités de développement personnel et d’apprentissages des relations sociales. Il m’est semblé inévitable de finir par lâcher-prise sur un quelconque souhait de résultat, et utile de rester vigilants sur les moyens que nous mettons en oeuvre tous ensemble pour créer un climat favorable à l’expression naturelle de chaque personnalité au sein de notre famille.

EM

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